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TEXTS Marie Havel Artiste site art

Le travail de Marie Havel s’enracine dans une réflexion autour de la ruine, état de chute aussi bien assimilé aux choses qu’à l’individu. Il se décline dans un agencement subtil entre construction et destruction. Cet équilibre, précaire, est appréhendé à l’orée de l’enfance, dans des dimensions expérimentales et ludiques. Dans ce sens, ses œuvres proposent un double regard, celui de la curiosité, du jeu, d’un âge où l’on s’adapte à l’environnement chargé d’histoire qui nous entoure, et celui d’une approche plus distanciée, posant son attention sur ce qui bâtit notre passé.


Son travail relève ainsi de l’introspection, du souvenir, elle va puiser dans les décombres de sa mémoire pour opérer une mise en lumière des images et expériences vécues. L’état de ruine est non seulement révélé – à l’instar des séries Flocages ou Qui perd gagne pour lesquels Marie Havel braque son regard sur des bunkers de la Seconde Guerre mondiale abandonnés – mais également suspendu. Il y a dans ses dessins un état de sursis latent, dont la série Jumanji est particulièrement représentative. L’artiste y crée, à l’aide de jeux de construction de notre enfance, des édifices en proie à l’instabilité. Elle y mêle des éléments de nature, grignotant ici et là des structures qui chutent et se déploient sur la surface, jusqu’à investir des murs entiers comme dans Poetics of Space. Elle opère ainsi un arrêt sur image et met en exergue une tension entre la matière et l’espace. Ses œuvres procèdent ainsi d’une logique antéchronologique. A l’inverse de structures qui se détériorent au fil du temps, Marie Havel bâtit des constructions originellement altérées, elle érige la ruine.


Ce qui est mis en lumière n’est pas tant la chute que l’acte vain. Les œuvres participent d’une forme de cynisme, où la part d’instabilité et de destruction constitue l’essence même de la structure. Si Marie Havel excelle dans la technique du dessin, son travail présente une déclinaison de médiums, portant toujours son attention sur l’effondrement de manière ambiguë, entre catastrophe et jeu. Ainsi, les séries Tapis de jeux, Seaux de plage, Toucher le fond, Ça vole pas haut, ou encore Soleil de plomb renvoient directement à une part infantile détournée. Avec une approche presque sardonique (en témoigne les titres utilisés), l’artiste promeut le chaos, l’échec, et l’adversité. Ces thèmes font également écho à la série des Nostalgismes où l’on découvre des adultes physiquement enserrés dans des jeux pour enfants. L’artiste fige cet instant de désarroi pendant lesquels des individus ont tenté de retrouver leur part d’enfance. Traités au graphite avec un réalisme percutant, ils sont isolés dans des positions ubuesques où plus rien n’existe hormis leur désir avorté de remonter le temps. Ils font partie de ces moments que l’on préfère oublier et que Marie Havel fixe dans la durée.

Il y a en effet dans son travail un besoin de révéler, de montrer ce qu’on ne voit pas ou que l’on ne voudrait plus voir. Ainsi en est-il des Maisons clous et Terrains vagues, une recherche sur des bâtiments vouées à disparaître de nos paysages, ou bien d’En attendant la mer et Pas de fumée sans feu. L’artiste s’attache alors à rendre visible les épaves de bateaux coulés, principalement durant la Seconde Guerre mondiale, cachées par les eaux, ou encore Le Ravin du Loup, un ensemble de bunkers allemands édifiés en 1942 dans l’Aisne, camouflés en étant recouverts de peinture puis abandonnés. Les lieux historiques tels que les trous d’obus, espaces commémoratifs ou de guerre constituent les paysages de son enfance. Au regard curieux et fasciné du passé se substitue aujourd’hui celui de dévoiler. Elle interroge ainsi la manière dont ces bâtiments font corps avec le paysage dans lequel ils prennent place. Pour se faire, elle choisit d’emprunter des voies détournées, en révélant la végétation qui les entourent notamment, afin de mettre en évidence l’imprégnation et la détérioration des ruines.


Les œuvres de Marie Havel sont ainsi empreintes de souvenirs où son histoire prend place dans l’Histoire. L’enfance ingénue se substitue à la réalité d’un monde détérioré, en tension. Il s’opère pourtant une sublimation de la mémoire. A travers la reconstruction de jeux, de situations périlleuses ou encore de structures, l’artiste introduit une poésie de la ruine.

Gwendoline Corthier-Hardoin

 

Docteure en Théorie des Arts

Commissaire d'exposition

Chargée d'expositions et de recherches au Centre Pompidou Metz

Mars 2020

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